Notre essai de re-fabrication d’un étui en cuir « bouilli »

En quelques images, voici notre procédé pour fabriquer des étuis en cuir dit bouilli. Nous avons pris en exemple un modèle très connu datant du début du 15ème siècle, exposé au musée de Cluny.
Le peu d’outils nécessaires : un tranchet (couteau très fin et très coupant), une grande pierre dure et parfaitement plane, quelques baguettes taillées dans de l’os, une forme en bois et une rappe.

In some pictures, here is our process to make boiled leather cases. We took as an example a well-known model dating from the beginning of the 15th century, exhibited at the Cluny museum in Paris.

The few tools needed : a slicing knife (very thin and very sharp knife), a large hard and perfectly flat stone, some chopsticks carved in bone, a wooden form and a file.

Le cuir utilisé est du veau tanné à l’aide de végétaux d’une épaisseur de 8/10ème de mm, ce cuir est souple et sa fleur est  lisse :

The leather used is calf skin vegetable tanned of a thickness of 8/10 th of mm, this leather is supple and its grain is smooth :

Pour la colle, nous avons utilisé de la colle fabriquée à base de cartilages de porc : la colle forte. De nos jours, cette colle n’est plus disponible sous ce nom mais on peut en trouver au supermarché tout simplement au rayon pâtisserie, en effet la gélatine pour faire des gâteaux est de la colle forte.

J’ai essayé d’autres colles animales : nerf, os, peau … Mais, d’après mes quelques expériences, rien n’égale la colle de gélatine à part l’hictyocolle (colle de vessie natatoire d’esturgeon). Cette matière animale se trouve toujours dans le commerce comme fourniture pour l’art de la reliure. Toutefois, pour ne pas encourager la pèche de ce poisson devenu rare et maintenant heureusement protégé, je préfère  utiliser de la simple gélatine pour gâteaux.

For the glue, we used glue made from pork cartilage : the strong glue. Nowadays, this glue is no longer available under this name but can be found at the supermarket just pastry department, indeed the gelatin to make cakes is strong glue.

I tried other animal glues : nerve, bone, skin… But, according to my few experiments, nothing matches the gelatin glue except the hictyocolle (swim bladder sturgeon). This animal material is still commercially available as a supply for the art of bookbinding. However, not to encourage the fishing of this rare and now fortunately protected fish, I prefer to use simple gelatin for cakes.

Passons à la pratique :
Préparation de la colle forte de gélatine : Dans un pot (à confiture), mettre quelques feuilles de gélatine (au besoin les casser) puis ajouter l’eau froide pour couvrir à hauteur. Une fois les feuilles bien ramollies, faire chauffer doucement le pot au bain-marie en remuant. A partir de 23 °C, les fibres de collagène de la gélatine se séparent les unes des autres et on obtient un liquide homogène et transparent. En contrôlant la température avec un thermomètre,  il est maintenant possible de tremper le cuir dans cette colle.

Let’s move on to practice : Preparation of the strong gelatin glue: In a jar (jam), put 2 sheets of gelatine (if necessary break them) then add the cold water to cover at height. Once the leaves are well softened, gently heat the pot in a bain-marie stirring. From 23 ° C., the collagen fibers of the gelatin separate from one another and a homogeneous and transparent liquid is obtained. By controlling the temperature with a thermometer, it is now possible to soak the leather in this glue.

Un dégagement de bulles est visible, accompagné d’un bruit d’ébullition. En quelques secondes, le cuir fin est totalement imprégné du liquide, il est flasque et gluant.

A bubbling is visible, along with a boiling noise. In a few seconds, the fine leather is completely impregnated with liquid, it is flaccid and sticky.

Remarque : Il est plausible que de cette étape où les bulles d’air s’échappent vienne l’appellation cuir bouilli. Cela ressemble tout à fait à une ébullition mais la température du liquide employé est bien en dessous de 40 °C.

Note : It is plausible that from this stage where the air bubbles escape come the boiled leather name. This is very similar to boiling, but the temperature of the liquid used is well below 40 ° C.

Remarque :  Lors du trempage du cuir la température de la colle ne doit pas dépasser 37 °C sous peine d’abîmer définitivement la structure du cuir. Une température de 32 °C est optimum, plus froid  le liquide pénètre plus lentement dans le cuir mais cela n’est pas un problème.

Note : When soaking the leather, the temperature of the glue should not exceed 37 ° C, otherwise the structure of the leather will be damaged. A temperature of 27 ° C is optimum, colder the liquid penetrates more slowly in the leather but this is not a problem.

Ensuite le bout de cuir est placé sur la pierre et paré à l’aide du tranchet :

Then the piece of leather is placed on the stone and trimmed with the tranchet :

Le parage est indispensable pour ne pas faire de « marches » sur les raccords, ce qui serait disgracieux et fragile.
Aidé de la colle gluante, le cuir adhère à la pierre et facilite ce travail très délicat.

Trimming is essential to not make « steps » on the fittings, which would be unsightly and fragile.
Aided glue sticky, the leather adheres to the stone and facilitates this very delicate work.

Remarque : La surface du cuir est utilisée au maximum, les chûtes de cuir sont minimes, il reste seulement  quelques fins copeaux. Il est tout à fait possible de parer le cuir avant de le tremper dans la colle.

Note : The leather surface is used to the maximum, the leather falls are minimal, there are only a few fine chips left. It is quite possible to trim the leather before dipping it into the glue.

Le cuir est disposé sur la forme, les jointures sont fixées avec un bâtonnet en os :

The leather is arranged on the shape, the joints are fixed with a bone stick :

Les jointures sont lissées :

The joins are smoothed:

Les rectangles de cuir épais maintiennent les passants en forme.

Thick leather rectangles keep passers-by in shape.

Il ne reste plus qu’à décorer l’objet avant qu’il ne soit complètement sec :

It remains only to decorate the object before it is completely dry :

Les motifs sont incisés avec un fine lame, le fond est « repoussé » en utilisant un outil en os fait maison. Une fois sec, l’objet est huilé avec un mélange d’huile de lin et de cire.

The patterns are incised with a thin blade, the bottom is « repulsed » using a homemade bone tool. Once dry, the object is oiled with a mixture of linseed oil and wax.

Remarque : On peut dire que cette boîte est entièrement faîte de collagène,en effet le mot collagène vient de termes grecs signifiant « qui fait la colle » or le cuir lui-même est constitué de cette substance. L’ajout de collagène augmente la densité du cuir (l’air chassé est remplacé par la colle et les fibres du cuir sont renforcées).

Note : It can be said that this box is entirely made of collagen, indeed the word collagen comes from Greek terms meaning « who makes the glue » or the leather itself is made of this substance. The addition of collagen increases the density of the leather (the hunted air is replaced by the glue and the fibers of the leather are reinforced).

Résultat final :
Le couvercle s’emboîte, il est parfaitement ajusté.

Final result :
The lid fits, it is perfectly adjusted.

 

Référence bibliographique : Eva Halasz-Csiba « Le cuir à fleur de peau » 2001 ISBN : 2876603195

 

Brève analyse de l’utilisation du « cuir bouilli » au Moyen Age

Lorsque l’on s’intéresse au travail du cuir dans l’histoire, il est difficile d’ignorer le fameux « cuir bouilli », ses performances remarquables sont soulignées dans plusieurs textes du Moyen Âge.

His jambeaux were of cuir-bouilli,

His sword sheat was of ivory…

Geoffrey Chaucer, The Tale of Sir Thopas

Ce « cuir bouilli » fût aussi utilisé dans la vie « civile » de tous les jours afin de réaliser des fourreaux et des étuis rigides, ainsi que des coffrets adaptés pour conserver tout objet précieux.

J’avoie, adont, de cuir bouli

Un coffinet bel et poli

Qui estoit longues et estrois

Où les balades toutes trois

Mis.

Froissart, La prison amoureuse

Le cuir est coriace et résistant, il est une matière incontournable depuis les premiers vêtements, les chaussures, beaucoup d’instruments de musique et le précieux parchemin qui fut un formidable vecteur de développement culturel.

Étui en « cuir bouilli » du 15ème siècle, exposé au musée de Cluny à Paris.

Ce cuir  dit bouilli est apparemment une matière différente, bien plus dur que le simple cuir, une sorte de super-cuir.
Au début du Moyen Age, on sait que le cuir avait une multitude d’applications mais il n’existe pas, à notre connaissance, de texte précis  sur la fabrication du « cuir bouilli ».

Pourtant, il est mentionné depuis le début du 12ème siècle dans des ouvrages en latin ancien. Le parchemin étant une nouveauté car apparu peu avant l’an Mil en Occident_uniquement pour recueillir des textes religieux_ce qui ne rend pas simple la recherche de sources anciennes écrites !
En France, la technique s’oublia aux alentours de la fin du 17ème siècle. Les raisons sont incertaines, est-ce l’évolution des armes (à feu), la fin d’une mode qui rendit ce matériau obsolète ou une tout autre raison ? La question reste entière…

Essai de reconstitution d’un étui à plumes par nos soins, l’encrier est réalisé par l’association Rommelpot

Quand on observe notre histoire récente, les modes changent et avec célérité: Nous sommes bien passé du mouvement Hippie au Punk en moins d’une génération !

Aux alentours du 18ème siècle, le cuir dit bouilli refait son apparition, à cette époque il est utilisé pour fabriquer des gourdes, des bottes de postillon renforcées, des seaux pour les incendies… Il sert jusque dans l’équipement militaire de la première guerre mondiale pour faire des casques.

Mais tous les objets de cette époque récente sont visiblement très différents des réalisations du Moyen Âge. Les cuirs sont très épais, assemblés de coutures grossières et souvent recouverts d’un goudron végétal.

La technique utilisée alors n’est probablement plus la même qu’auparavant.
De cette technique plus moderne, il existe des recettes pour faire du cuir bouilli (datant du 18ème siècle) où le cuir est assemblé par couture, puis ramolli dans l’eau chaude ou bouillante, mis en forme sur un moule en deux parties puis le tout est mis à sécher au four. Les objets obtenus de cette façon sont raides et leur surface peut se craqueler, des températures élevées et prolongées détruisent  à coup sûr les fibres du cuir, il devient cassant comme un biscuit.

Cette méthode « moderne » présente un autre inconvénient majeur, exposé à de hautes températures par immersion dans l’eau bouillante, le cuir se rétracte fortement soit environ 1/4 de sa surface. (Lorsque l’on fait cuire un steak, il se passe la même chose, le collagène se rétracte)

Il faut donc, lors de la fabrication, tenir compte de cette rétractation pour obtenir un objet aux dimensions correctes. Technique assez hasardeuse car la rétractation n’est pas uniforme et dépend de la partie de la peau utilisée.

Nous pensons qu’il existe un cuir « bouilli » du Moyen Age et un autre, totalement différent, à partir du 18ème siècle. Un amalgame s’est crée entre différentes techniques pour parler d’un seul produit.

De nos jours, nos amis Anglais ont beaucoup expérimenté sur ce sujet, en se basant sur les recettes du 18ème siècle, tests après immersion dans un liquide bouillant, résistance à la casse, à la torsion… Leurs conclusions sont que le cuir est rendu cassant par cette méthode, donc ce n’est probablement pas cette méthode qui fût employée au Moyen Age ou alors le cuir dit bouilli est un mythe…
En effet, l’utilisation de cette méthode « brutale » est à exclure pour obtenir des objets résistants aux chocs comme les boucliers et cuirasses, d’une grande finesse et d’une précision extrême pour les boîtes ouvragées.
Pourtant dans les esprits, le cuir bouilli est un cuir vraiment bouilli, ce qui est impossible quand on connaît cette matière si sensible aux excès de température et d’humidité.
Quelques objets fait de ce « cuir bouilli » nous sont parvenus d’un lointain passé, surtout des boîtes magnifiquement travaillées, des petits écrins précieux ou des fourreaux de couteaux. Ils témoignent de la grande technicité des maîtres artisans du Moyen Age.
Un exemple remarquable se trouve au musée de Cluny, il s’agit d’une boîte finement décorée, probablement munie d’un lacet où coulissait le couvercle. Les archéologues ont retrouvé à l’intérieur une guimbarde, mais ce n’était sûrement pas sa première utilité.

Eva Hallasz Csiba dans son livre « Le cuir à fleur de peau » étudie le cuir d’une façon anthropologique et historique très intéressante, c’est en nous appuyant sur ses écrits que nous avons pu proposer une autre hypothèse sur la fabrication du « cuir bouilli ».
Notre proposition sur la fabrication du « cuir bouilli » est à lire dans le n°19 (avril-mai 2008) de Histoire et Images Médiévales, il contient un article de huit pages sur le métier de gainier furrelier qui serait lié au travail du « cuir bouilli ». Un essai de reconstitution de l’étui « à guimbarde » y est exposé en détails. Cet article est entièrement en ligne ici .

Voici notre première tentative de reconstitution de l’étui « à guimbarde » en « cuir bouilli » :

Cette méthode que nous expérimentons est juste une hypothèse. Mais, personnellement, je trouve que la gélatine pure alliée à un cuir souple à tannage végétal permet de confectionner toutes sortes de formes,  boîtes et étuis.

Ils n’ont aucune couture visible de l’extérieur, ils sont imperméables, très légers et résistent aux chocs.

Avis aux collectionneurs possédant de tels objets : Pour nos recherches, nous sommes vivement intéressés par des images ou des dessins d’objets en « cuir bouilli » du 14 au 16ème siècle qui ne sont pas visibles sur internet.

Étui à plume portatif en « cuir bouilli » et son encrier

Pour les scribes, les moines, les riches artisans, les nobles et les commerçants du Moyen Age écrire était indispensable. Afin d’archiver les comptes, inventaires, poèmes et divers écrits importants, la plume et le parchemin étaient utilisés au quotidien.

Il en existe un nombre incalculable de représentation iconographiques, des formes et des couleurs très variées.

En voici quelques exemples :

« De l’office des tailleurs » Jacques de Cessoles, Le Livre de la moralité des nobles hommes et des gens du peuple sur le jeu des échecs (Liber de moribus…). Trad. Jean du Vignay. Paris, fin du XIVe siècle ou début du XVe. Parchemin (305 feuillets). BNF, Manuscrits (fr. 1166 f° 34)
Histoire des nobles princes de Hainaut, Flandre, milieu du 15ème siècle.
Paris, BnF, département des manuscrits, Français 20127, fol. 2v.
Reconstitution d’un étui à plume du 15ème siècle en cuir dit bouilli orné de motifs zoomorphes

Appelé gallimar ou gallemar en 1560, cet objet re-creé sert à ranger des plumes. L’encrier est en corne noire. Pour le transport, il était suspendu à la ceinture, en se servant du lacet. L’encrier en corne est réalisé par l’association Romelpot.

Appelé gallimar ou gallemar, cet objet re-creé sert à ranger des plumes. L'encrier est en corne noire. Pour le transport, il était passé à la ceinture, en se servant du lacet.

Il est tout à fait possible de réaliser des compartiments à l’intérieur de l’étui pour ranger le couteau et les plumes séparément :

The Visitation with Saint Nicholas and Saint Anthony Abbot
National Gallery of Art 1489-1490
Le Jardin des délices Jérôme Bosch 1494 -1505

Article sur le « cuir bouilli » publié dans le n°19 de Histoire & Images Médiévales

C’est avec l’aimable autorisation de Frédéric Wittner de l’ancienne rédaction de Histoires & Images Médiévales que je mets en ligne cet article publié en avril/mai 2008.

Je l’avais quo-rédigé avec Catherine Lonchambon (directrice de la rédaction 2005/2010) et Michèle Bois (docteur en archéologie médiévale).

Depuis cet article, nos recherches ont mis à jour d’autres remarques dont je vous ferai part dans une prochaine publication sur ce blog.