Essai de reconstitution d’un seau en « cuir bouilli » de la fin du 16ème ou du 17ème siècle

Ce seau en cuir durci a été commandé par le musée des pompiers de Lyon car cet objet manquait à leur collection.

Les modèles d’époque étant aussi onéreux qu’introuvables, j’ai eu pour mission de reconstituer le plus fidèlement possible ce seau d’après des documents issus d’une collection privée.

Il a été réalisé de deux couches de cuir de bovin de 3,5 mm, durci selon ma technique à la gélatine. Puis badigeonné d’huile de lin siccative.

Muni de renforts en cuir et en corde de chanvre, il est léger, étanche, rigide et incassable.

Les coutures au point sellier sont réalisées avec du fil de lin poissé.

 

Devant les ravages que pouvait provoquer un incendie dans une ville, par décret, chaque propriétaire de maison était tenu de faire fabriquer un certain nombre de seaux à incendie.

Il en existait aussi en tissu ou en osier.

 

 

 

Ce modèle a nécessité une trentaine d’heures de travail et tout autant pour établir le plan de réalisation.

Voici, ci-dessous, le seau original sur lequel je me suis appuyée pour réaliser cette reconstitution.

Le musée des pompiers de Lyon recherche tout texte ou image concernant la lutte contre les incendies, de l’antiquité jusqu’à  la fin du Moyen Age.

Merci d’envoyer les documents à association.orchis@gmail qui transmettra.

Brève analyse de l’utilisation du « cuir bouilli » au Moyen Age

Lorsque l’on s’intéresse au travail du cuir dans l’histoire, il est difficile d’ignorer le fameux « cuir bouilli », ses performances remarquables sont soulignées dans plusieurs textes du Moyen Âge.

His jambeaux were of cuir-bouilli,

His sword sheat was of ivory…

Geoffrey Chaucer, The Tale of Sir Thopas

Ce « cuir bouilli » fût aussi utilisé dans la vie « civile » de tous les jours afin de réaliser des fourreaux et des étuis rigides, ainsi que des coffrets adaptés pour conserver tout objet précieux.

J’avoie, adont, de cuir bouli

Un coffinet bel et poli

Qui estoit longues et estrois

Où les balades toutes trois

Mis.

Froissart, La prison amoureuse

Le cuir est coriace et résistant, il est une matière incontournable depuis les premiers vêtements, les chaussures, beaucoup d’instruments de musique et le précieux parchemin qui fut un formidable vecteur de développement culturel.

Étui en « cuir bouilli » du 15ème siècle, exposé au musée de Cluny à Paris.

Ce cuir  dit bouilli est apparemment une matière différente, bien plus dur que le simple cuir, une sorte de super-cuir.
Au début du Moyen Age, on sait que le cuir avait une multitude d’applications mais il n’existe pas, à notre connaissance, de texte précis  sur la fabrication du « cuir bouilli ».

Pourtant, il est mentionné depuis le début du 12ème siècle dans des ouvrages en latin ancien. Le parchemin étant une nouveauté car apparu peu avant l’an Mil en Occident_uniquement pour recueillir des textes religieux_ce qui ne rend pas simple la recherche de sources anciennes écrites !
En France, la technique s’oublia aux alentours de la fin du 17ème siècle. Les raisons sont incertaines, est-ce l’évolution des armes (à feu), la fin d’une mode qui rendit ce matériau obsolète ou une tout autre raison ? La question reste entière…

Essai de reconstitution d’un étui à plumes par nos soins, l’encrier est réalisé par l’association Rommelpot

Quand on observe notre histoire récente, les modes changent et avec célérité: Nous sommes bien passé du mouvement Hippie au Punk en moins d’une génération !

Aux alentours du 18ème siècle, le cuir dit bouilli refait son apparition, à cette époque il est utilisé pour fabriquer des gourdes, des bottes de postillon renforcées, des seaux pour les incendies… Il sert jusque dans l’équipement militaire de la première guerre mondiale pour faire des casques.

Mais tous les objets de cette époque récente sont visiblement très différents des réalisations du Moyen Âge. Les cuirs sont très épais, assemblés de coutures grossières et souvent recouverts d’un goudron végétal.

La technique utilisée alors n’est probablement plus la même qu’auparavant.
De cette technique plus moderne, il existe des recettes pour faire du cuir bouilli (datant du 18ème siècle) où le cuir est assemblé par couture, puis ramolli dans l’eau chaude ou bouillante, mis en forme sur un moule en deux parties puis le tout est mis à sécher au four. Les objets obtenus de cette façon sont raides et leur surface peut se craqueler, des températures élevées et prolongées détruisent  à coup sûr les fibres du cuir, il devient cassant comme un biscuit.

Cette méthode « moderne » présente un autre inconvénient majeur, exposé à de hautes températures par immersion dans l’eau bouillante, le cuir se rétracte fortement soit environ 1/4 de sa surface. (Lorsque l’on fait cuire un steak, il se passe la même chose, le collagène se rétracte)

Il faut donc, lors de la fabrication, tenir compte de cette rétractation pour obtenir un objet aux dimensions correctes. Technique assez hasardeuse car la rétractation n’est pas uniforme et dépend de la partie de la peau utilisée.

Nous pensons qu’il existe un cuir « bouilli » du Moyen Age et un autre, totalement différent, à partir du 18ème siècle. Un amalgame s’est crée entre différentes techniques pour parler d’un seul produit.

De nos jours, nos amis Anglais ont beaucoup expérimenté sur ce sujet, en se basant sur les recettes du 18ème siècle, tests après immersion dans un liquide bouillant, résistance à la casse, à la torsion… Leurs conclusions sont que le cuir est rendu cassant par cette méthode, donc ce n’est probablement pas cette méthode qui fût employée au Moyen Age ou alors le cuir dit bouilli est un mythe…
En effet, l’utilisation de cette méthode « brutale » est à exclure pour obtenir des objets résistants aux chocs comme les boucliers et cuirasses, d’une grande finesse et d’une précision extrême pour les boîtes ouvragées.
Pourtant dans les esprits, le cuir bouilli est un cuir vraiment bouilli, ce qui est impossible quand on connaît cette matière si sensible aux excès de température et d’humidité.
Quelques objets fait de ce « cuir bouilli » nous sont parvenus d’un lointain passé, surtout des boîtes magnifiquement travaillées, des petits écrins précieux ou des fourreaux de couteaux. Ils témoignent de la grande technicité des maîtres artisans du Moyen Age.
Un exemple remarquable se trouve au musée de Cluny, il s’agit d’une boîte finement décorée, probablement munie d’un lacet où coulissait le couvercle. Les archéologues ont retrouvé à l’intérieur une guimbarde, mais ce n’était sûrement pas sa première utilité.

Eva Hallasz Csiba dans son livre « Le cuir à fleur de peau » étudie le cuir d’une façon anthropologique et historique très intéressante, c’est en nous appuyant sur ses écrits que nous avons pu proposer une autre hypothèse sur la fabrication du « cuir bouilli ».
Notre proposition sur la fabrication du « cuir bouilli » est à lire dans le n°19 (avril-mai 2008) de Histoire et Images Médiévales, il contient un article de huit pages sur le métier de gainier furrelier qui serait lié au travail du « cuir bouilli ». Un essai de reconstitution de l’étui « à guimbarde » y est exposé en détails. Cet article est entièrement en ligne ici .

Voici notre première tentative de reconstitution de l’étui « à guimbarde » en « cuir bouilli » :

Cette méthode que nous expérimentons est juste une hypothèse. Mais, personnellement, je trouve que la gélatine pure alliée à un cuir souple à tannage végétal permet de confectionner toutes sortes de formes,  boîtes et étuis.

Ils n’ont aucune couture visible de l’extérieur, ils sont imperméables, très légers et résistent aux chocs.

Avis aux collectionneurs possédant de tels objets : Pour nos recherches, nous sommes vivement intéressés par des images ou des dessins d’objets en « cuir bouilli » du 14 au 16ème siècle qui ne sont pas visibles sur internet.

Article sur le « cuir bouilli » publié dans le n°19 de Histoire & Images Médiévales

C’est avec l’aimable autorisation de Frédéric Wittner de l’ancienne rédaction de Histoires & Images Médiévales que je mets en ligne cet article publié en avril/mai 2008.

Je l’avais quo-rédigé avec Catherine Lonchambon (directrice de la rédaction 2005/2010) et Michèle Bois (docteur en archéologie médiévale).

Depuis cet article, nos recherches ont mis à jour d’autres remarques dont je vous ferai part dans une prochaine publication sur ce blog.