Petite histoire des tannages

Le tannage est une technique qui permet après un long travail, de transformer la peau brute en cuir souple, résistant et imputrescible.  Au cours de cette opération il s’opère des réactions chimiques complexes qui ne sont pas toutes expliquées.

Au Paléolithique, la peau de l’animal est convoitée, elle offre chaleur et protection. Elle fût dans les premiers temps simplement écharnée à l’aide de silex tranchants puis séchée.

La peau « crue » à tendance à se rigidifier et se rétracter, elle reste néanmoins très sensible à l’eau qu’elle peut absorber en grandes quantités. Cependant, pour la réalisation de ligatures ou de protections elle convient parfaitement.

Le tannage « à l’huile » est une méthode maîtrisée depuis de Néolithique, dans ce processus, ce sont les acides gras insaturés présents dans l’huile qui vont inter-agir avec la protéine présente dans la peau : le collagène. Cette matière grasse ne doit être ni trop insaturée, ni pas assez.

La cervelle de l’animal, sa graisse, son foie, les œufs, les huiles de poisson ou de mammifères marins se prêtent à cette opération. Les aldéhydes formés par l’oxydation de l’huile se combinent au collagène et le rend chimiquement stable. D’autres agents interviennent et « polymérisent » les fibres. Pour préparer à ce tannage, le cuir était mâché par les femmes ; la salive légèrement acide faisant office de pickelage ; il était ensuite enduit de la cervelle de l’animal.

Dans ce mode de tannage il s’agit, en gros, de remplacer l’eau et les fragiles liaisons grasses présentes à l’intérieur de la peau, par des liaisons grasses plus stables. On obtiens par ce procédé un cuir souple jaune orangé, très résistant à l’eau.

Appelé « chamois » ou « peau chamoisée », cette technique  utilisée au Moyen Age, pour la confection des vêtements et sous vêtements, des gants. Des moulins activés par la force de l’eau étaient conçus pour cette activité. C’était le travail exclusif des chamoiseurs.

Vidéo sur Dailymotion : http://www.dailymotion.com/video/xfe2gw_la-peausserie-de-niort_news

Le tannage « à la fumée » est un procédé différent qui provoque les mêmes transformations à l’intérieur de la peau. En chauffant doucement la peau au dessus d’un feu de bois vert, la fumée contenant des aldéhydes et des phénols s’associent avec le collagène. Différentes essences d’arbres peuvent être utilisées pour diversifier les teintes. Le cuir obtenu de cette façon est sombre, plus rigide et résistant à l’eau. Le tannage à la fumée peut être associé au tannage à l’huile pour le rendre plus étanche ou au tannage végétal pour le rendre plus souple.

Le tannage végétal fût utilisé dans l’Égypte antique et en Chine, ce tannage est réalisé avec des matières astringentes. Le tan (en langue gauloise : chêne) est le nom donné à l’écorce de chêne broyée et réduite en poudre ; le tannin est du tan ajouté à de l’eau pour faire un jus. Cependant l’étymologie du mot « tan » est incertaine, il pourrait aussi s’agir du mot « tannen » (en allemand) : sapin, qui servait aussi de matière tannante.

Aucune datation précise de l’utilisation de tannins végétaux pour la conservation d’une peau est attestée. Toutefois, une origine très ancienne est fort probable : nos cousins Néandertaliens maîtrisaient probablement cette technique complexe. Il faut prendre en compte qu’ils ont traversé trois époques glaciaires ! Savoir confectionner des vêtements de fourrure ad-hoc était une condition sine qua non de la survie.

Dans un ouvrage passionnant : Neandertal, mon frère, les auteurs (Silvana Condemi & François Savatier ) reportent que des molaires de femmes néandertaliennes exhumées portent des traces d’usures importantes qui pourraient être le signe d’un machouillage intensif de peau, en préparation d’un tannage (pickelage).

 

De plus, dans un documentaire de 2011 : Le mystère des éléphants géants, des archéologues on fait une découverte de taille : un racloir en silex portant encore des traces de tannins. voir ci-dessous :

« Le mystère de éléphants géants, sur Arte en 2001 : les sédiments fossiles de 120 000 ans d’age exhumés à l’issue de plusieurs années de fouilles sur le site de Neumark-Nord, en Allemagne, sont d’une incroyable richesse. Recelant des squelettes intacts de cerfs et de lions, ainsi que de plantes exotiques, des larves d’insectes et des outils préhistoriques, ils conservaient aussi plus de soixante-dix squelettes d’éléphants géants qui devaient mesure quatre mètres, peser plus de dix tonnes et posséder d’impressionnantes défenses. (…) »

Le cuir végétal peut s’obtenir avec différentes matières selon le lieu d’utilisation : la noix de galle (pousse sur les feuilles de certains arbres), l’écorce de châtaignier, de mimosa, de bouleau, la garouille (écorce de la racine d’un chêne du bord de la méditerranée : le chêne kermès), le sumac des tanneurs ou redoul (arbuste originaire d’Asie dont les feuilles sont séchées et broyées)….

Ce procédé est le plus long et le plus complexe, chimiquement parlant. Il s’agit encore de stabiliser les fibres de collagène à l’échelle moléculaire.

De pH acide : entre 3.5 et 5, il nécessite une préparation au tannage très précise ainsi que des finitions poussées.

Un tannage dit minéral à l’aide d’alun natif est utilisé par les Égyptiens, les Romains et certains peuples Celtes. Cependant l’origine précise reste inconnue.

L’alun, composé de sulfate double d’aluminium et de potassium, en solution de pH 5, se fixe sur le collagène. Chimiquement moins stable que les autres procédés, cette méthode assez mal connue, fût toutefois très employée de l’antiquité à la fin du Moyen Age. Comme c’est un cuir fragile, on en retrouve très peu de traces archéologiques.

Dans ce mode de tannage appelé « mégis » au Moyen Age et encore de nos jours, l’alun est employé dans une solution d’eau, sel, farine, jaune d’œuf, huile d’olive. On retrouve recette à quelques variantes près dans le manuscrit de Bologne, le Mappae et celui de Rosetti. Une pâte est faite de ces ingrédients, elle est étalée sur la peau préalablement « confite » à au moins deux reprises.

Cette technique donne un cuir qui résiste peu à l’eau, mais d’une grande souplesse et d’une blancheur éclatante. Il pouvait être teinté avec des matières tinctoriales à peu près comme pour les tissus.

Voir nos expériences de mégie »à la pâte à crêpes ».

Un tannages mixte alun/végétal ou végétal/alun est possible. Les Hittites pratiquaient un tannage mixte noix de gales et alun. C’est à dire qu’il faut faire un pré-tannage à l’alun et finir par un bain de matières végétales ou inversement, mais pas en même temps pour des problèmes de PH, il se produirait un phénomène de « plaquage ».

De principe plus moderne (fin 19ème siècle), le tannage dit chimique peut se faire avec de l’alun de chrome ou de l’alun de chlorure d’aluminium, on parlera alors de cuir chromé.

Ce processus bien plus rapide et très stable déclencha un changement total dans la production du cuir. Il est très résistant à l’eau et à la chaleur, on peut le faire bouillir sans le dénaturer. Contrairement au tannage végétal, la solution contenant ces sels de chrome est basique. Le cuir chromé est majoritairement utilisé de nos jours, pour les canapés et les chaussures. Néanmoins, l’oxyde de chrome peut être très toxique s’il est mal maîtrisé lors du tannage et peut provoquer des intoxication et des allergies graves.

Bien sûr, les procédés de tannage chimique et végétal et huile peuvent être combinés, cela réduit le temps de fabrication donc le coût final de la matière.

De nos jours, le tannage des peaux se fait à 90 % aux sels de chrome qui est produit très toxique ! Dans notre pays des lois draconiennes empêchent aux tanneries de rejeter des produits chimiques directement dans la nature, mais ce n’est pas le cas partout.

C’est très bien ainsi néanmoins, les petites tanneries n’ont pas pu se mettre aux normes et disparaissent. Seules quelques tanneries traditionnelles travaillant de petites peaux subsistent depuis ces nouvelles lois. Les autres travaillent pour l’industrie du luxe quasi-exclusivement.

En Inde et au Bengladesh, c’est un vrai désastre.. Les ouvriers des tanneries sont immergés dans un bain de chrome à touiller les peaux, sans aucune protection. Les résidus sont ensuite déversés directement dans la rue ou les enfants jouent. Ces cuirs servent à faire les chaussures bas de gamme des grandes marques connues ou les canapés « en cuir » à bas coût. Pensez-y en achetant ces produits: le chrome 6 est toxique par contact.

Malgré le fait d’être allergène et cancérogène, le chrome (3 ou 6 quand le tannage est mail maîtrisé) est quasi-exclusivement utilisé dans les industries modernes de part le monde. Pourquoi? Car le cuir « chromé » est « résistant et pas cher à fabriquer ».

Dans notre association, tous les cuirs utilisés pour nos fabrications proviennent de France ou d’Italie et sont tannés à l’aide de matières végétales. Toutefois, trouver du cuir tanné 100% végétal devient compliqué:/ .

L’association Orchis cherche des fournisseurs Européens, si vous en connaissez, merci de nous contacter  🙂

Références bibliographiques :

« Le travail du cuir de la préhistoire à nos jours » ouvrage collectif, Ed. APDCA,2001

« La tannerie Romanaise » Ed. « la manufacture » par Annie Roche,1984

« Néandertal, mon frère » Silvana Condemi, François Savatier. Paru le 26 octobre 2016

 » Le tan et le temps » par Eva Hallasz -Csiba dans Techniques et cultures p 147-174, 2001

 

2 réflexions sur « Petite histoire des tannages »

  1. Bonjour
    J habite Niort Capitale a une époque du travail du cuir et de la ganterie
    Je me suis laisser dire il y a un certain temps par une conférencière qu la chamoiserie
    Comme technique n’a rien à voir avec le travail de la peau de chamois…….mais serait
    Une expression collatérale de la technique du tannage a l huile de poisson
    Connue depuis longtemps et traditionnel au Maghreb ou huile de poisson se traduit en arabe
    Zait chamrack la prononciation de ce mot aurait était transformé par le temps et aurait
    Donc donne le mot chamois ( voir Google traduction )es ce exact. Merci Morisset. Niort

    1. Bonjour,
      Ce que vous écrivez est intéressant cependant, « alshaamuah » est la traduction que j’obtiens du mot « chamois » sur Google Traduction. Il y a une grande similitude phonétique, en effet !
      Seulement, dans quel sens le transfert s’est-il opéré ?
      Voilà l’étymologie du mot chamois d’après de CNTRL :

       » D’un pré-roman *kamōke, mot essentiellement alpestre désignant le chamois et dont Polemius Silvius (ves.) fournit une 1re attest. sous la forme camox dans son Laterculus (TLL s.v., 207, 74; v. aussi A. Thomas ds Romania, t. 35, pp. 170-171); du type chamois, les formes latinisées du domaine fr.-prov. : chamosius, 1272 en Savoie, chamessius, 1389-90 à Chamonix; le lat. médiév. chamos (cognomen, Htes Alpes, 1135), l’a. dauph. chamos, 1333, l’a. prov. chamos [av. 1244 ds Rom. Forsch., t. 5, p. 409] remonteraient à un type *kamŭsso (J. Hubschmid ds Z. rom. Philol., t. 66, pp. 9-10; v. aussi Pat. Suisse rom., s.v. chamois). »

      Est-ce qu’il existe une source linguistique du mot en Arabe ?

      Merci de votre intérêt !

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